Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’une jeune femme que j’ai rencontré il y a quelques mois. Comme toute rencontre, celle-ci a un début et une fin. Et c’est précisement cette dernière qui nous intéresse. Mais commençons par le commencement…
D’emblée et sans filtre, elle me raconta son enfance carencée, son placement avec son frère dans une famille d’accueil et les maltraitances qu’ils y avaient subies de l’âge de 5 à 11 ans. Elle avait ensuite été placée dans divers foyers et centres éducatifs. A l’âge de 16 ans, elle avait obtenu son émancipation et avait bénéficié jusqu’à ses 22 ans d’un appartement éducatif, une période de relative stabilité et sécurité. Elle avait été à plusieurs reprises hospitalisée pour des mises en danger ou des fléchissements thymiques pendant lesquels elle présentait des conduites anorexiques.
Elle avait pris appui sur des amis rencontrés dans sa cité, calquant sa conduite sur eux, apprenant et appliquant je cite, le « code de l’honneur », et les « valeurs des anciens », toutes choses aujourd’hui en déliquescence selon elle. Elle s’était donnée pour mission de protéger les plus faibles au premier rang desquels son frère, atteint d’une maladie grave et handicapante. Elle l’avait encouragé à poursuivre les études qu’elle-même avait arrêtée et lui offrait fréquemment des cadeaux. Elle avait également installée son ancienne petite amie, de laquelle elle était séparée suite à un épisode de violence, dans un appartement, lui avait rempli son frigo et acheté « tout ce qu’il fallait », y compris les produits d’entretien pour ce logement.
Dans la prison, elle se décrivait occupant la même position, pouvant tout aussi bien racketter des détenues de leur traitement que régler des litiges et défendre les victimes de vols dont elle n’était pas responsable. Elle me faisait part de moments de tension interne qu’elle gérait par le sport ou les produits, sans permettre que je m’en mêle.
Un jour que je la recevais en signalement dans un de ces moments, je lui proposais un traitement médicamenteux, qu’elle refusa. Quelques jours plus tard, Marion, notre secétaire, m’informa qu’elle avait reçu un courrier de sa part demandant à changer de référence médicale. Je la reçus à nouveau pour en discuter et eus accès à une information qui m’avait complètement échappé : elle sortait de détention dans 2 mois, n’avait pas de logement et était confrontée à des exigences de la part de la justice en terme de réinsertion qu’elle se sentait incapable de remplir. Elle dressa un tableau alarmant de son manque d’autonomie : elle ne savait pas faire une machine à laver, ne savait pas cuisiner, elle redoutait le regard des autres dans les transports en commun. Face à tout cela, je ne lui avais proposé qu’un traitement médicamenteux, me renvoya-t-elle. Elle attaquait aussi les soins sur la question du diagnostic : la psychiatrie savait-elle seulement ce qu’elle avait ? Elle avait entendu le diagnostic de dépression, de bipolarité et de schizophrénie. Un cas aussi complexe que le sien devait être traité par un thérapeute spécialisé et d’expérience !
Face à ses angoisses d’abandon, j’ai pensé qu’il fallait matérialiser la continuité du soin et lui proposais d’organiser une permission thérapeutique accompagnée d’un soignant du SMPR afin qu’elle reprenne contact avec son infirmière référente au CMP (centre médico-psychologique) et sa psychologue. Cela permettrait aussi d’apprivoiser à nouveau l’extérieur et d’y prendre quelques repères.
Ce projet a permis de remobiliser autour d’elle le SMPR mais aussi son CIP (conseiller d’insertion et de probation), de façon tangible pour la patiente. Cela n’a pas été simple puisqu’au rendez-vous prévu avec son CIP pour signer le formulaire la patiente l’a déchiré. Après une nouvelle intervention des soignants, la demande a pu être faite. Un lien thérapeutique de meilleure qualité a pu être restauré puisqu’au rendez-vous suivant, elle me confiait des choses qui pouvaient, m’a-t-elle bien précisé, lui faire reprendre plusieurs mois de détention si je les révélais. Elle me signifie toujours que je ne dois pas l’abandonner puisque son frère, à présent autonome, lui a dit qu’il pensait à elle « mais de loin » et que son ancienne petite amie ne veut plus avoir de contact avec elle. Je l’ai à nouveau reçu en signalement, demandant de la buprénorphine (un opiacé) qu’elle consomme en détention mais elle a pu entendre mon refus « Je vous ai dit que je voulais un traitement mais en fait je veux juste me shooter. La permission, j’espère que ca va se faire, ça me fera du bien ».
Nous soignons toujours la première rencontre, conscient que le patient est dans une situation de perte de repère et de vulnérabilité. Les derniers rendez-vous sont tout aussi délicats et ne s’accompagnent pas nécessairement de l’euphorie attendue. L’approche de la sortie est souvent un moment où la symptomatologie flambe car il se rejoue la problématique de la séparation, séparation qui n’a jamais été secure pour nos nombreux patients avec des pathologies du lien et face à laquelle ils ont mis en place des mécanismes peu opérants, que ce soit la toute-puissance ou l’alternance de rejet et de dépendance. C’est un vrai défi mais réussir cette expérience-là de séparation a des vertus thérapeutiques en soi !