J’attends d’une formation de nouvelles connaissances mais aussi d’être interrogée, bousculée. La première session parisienne du DIU Santé mentale dans la communauté auquel je me suis inscrite cette année, remplit toutes ces promesses ! Le travail à la fois patrimonial et artistique du LAB-AH (laboratoire d’accueil et d’hospitalité du GHU Psychiatrie et Neurosciences Paris), pour conserver « la mémoire du quotidien » de l’hôpital de Perray-Vaucluse lors de son déménagement m’a particulièrement touché.
Bon nombre d’hôpitaux psychiatriques, à commencer par celui où j’exerce occupent encore les mêmes lieux que les anciens asiles. Les personnes âgées de la région les identifient toujours par leur ancien nom, souvent utilisé comme un nom commun pour signifier la folie ou pour menacer les enfants turbulents d’un enfermement.
Lorsqu’on les visite, les éléments anachroniques ne manquent pas. On y voit la chapelle, souvent placée au coeur de l’établissement pour espérer sauver par la prière les âmes égarées dans les limbes, des grands bâtiments où l’on retrouve parfois des inscriptions témoignant de la séparation des hommes et des femmes, la demeure du médecin-chef généralement placée à l’entrée pour évaluer les admissions, la cour d’honneur avec sa statue ou sa fontaine et autour de laquelle s’organisent les bâtiments administratifs… On peut se promener dans un parc arboré qui de nos jours, peine à être entretenu, et dans lequel les herbes sont folles elles aussi.
Ces asiles, crées dans chaque département par la loi de 1838 mais parfois plus anciens encore, sont peu à peu rénovés ou abandonnés pour des hôpitaux modernes, proposant des conditions d’hospitalisation plus dignes aux patients et mieux intégrés dans la ville. Vides, ils n’en demeurent pas moins pleins des histoires des personnes qui y ont parfois passé leur vie. Il est important d’en garder, ou plutôt d’en retrouver la trace. Car si la plupart des services, dans tous les hôpitaux de France, portent les noms des grands psychiatres ayant fait l’histoire de la discipline (Pinel, Esquirol, De Clérembeault, Delay…), les patients constituent une population anonyme et anonymisée.
Cet effacement n’est pas lié qu’au passage du temps mais aussi et surtout au caractère déshumanisant de l’asile. Dès l’admission prononcée et le seuil franchi, le malade se voyait retirer toutes ses possessions et remettre une tenue réglementaire : plus rien ne lui appartenait. Ses effets personnels étaient stockés dans un vestiaire dans l’éventualité assez incertaine d’une sortie. Le LAB-AH a ainsi retrouvé à l’hôpital de des vêtements et objets entassés pour certains depuis 1940. Assemblage hétéroclite, fragments de vie sans valeur marchande, souvenirs qui ne comptent plus et qu’on a oublié là. Qui se souvient alors qu’au-delà de leur maladie, ces personnes avaient des aspirations, des rires, des peines et des colères ?
Les dossiers médicaux aussi restent muets. Les petites choses s’effacent derrière les grands mots, la personnalité est balayées par la description de la maladie et des symptômes.
Et même dans la mort, leur statut d’individu ne leur est pas restitué. En l’absence de famille, personne ne se soucie d’apposer un nom sur leur pierre tombale. On trouve ainsi à l’hôpital de Perray Vaucluse un cimetière qui encombre les autorités. L’hôpital maintenant abandonné, il se retrouve au coeur d’une zone de réhabilitation. Va-t-on cette fois trouver une solution digne pour ces dépouilles anonymes ?
Rendre visibles ces patients et patientes des asiles, s’intéresser à ce qu’ils furent, qui ils aimèrent, ce qu’ils pensèrent de leur condition, comment ils vécurent leur internement, c’est leur rendre leur place au sein de notre société et de notre histoire. Place dont les représentations associées à la maladie mentale les ont privées. C’est un devoir de mémoire. C’est aussi un travail tourné vers l’avenir, pour dire aux malades d’aujourd’hui et de demain que nous souhaitons oeuvrer pour l’inclusion et le respect.