En ce moment, certains découvrent la solitude, d’autres la promiscuité. Certains aimeraient rejoindre un proche absent et d’autres rêvent peut-être déjà de prendre le large. Il y a ceux qui ont envie de parler et ceux qui ont besoin de silence. Il y en a qui s’occupent et d’autres qui tournent en rond.
Voilà qui me rappelle un univers que je connais bien…
En maison d’arrêt, les détenus passent 22h par jour en cellule, partageant ce temps et cet espace avec un voire deux inconnus. Cette cohabitation forcée est diversement appréciée.
Ainsi Monsieur B et son co-cellulaire se sont trouvés des points communs. Les heures défilent grâce à leurs discussions et les silences ne sont pas pesants. ils se soutiennent tant sur le plan moral que matériel, se fournissent mutuellement café et cigarettes et se mettent à peu près d’accord sur le programme télé. A deux, ils se cotisent pour le frigo.
Mais cette routine est un sursis et peut prendre fin à tout moment, au gré des remises en liberté et des nouvelles incarcérations, dans une kafkaïenne gestion de la surpopulation carcérale. Un beau matin, un surveillant ouvre la porte et annonce un changement de cellule auquel il faut bien se plier.
Monsieur B doit ramasser ses fringues, faire son paquetage comme on dit, surtout ne pas oublier ses clopes.
Dans la nouvelle cellule, le dernier venu n’est pas accueilli à bras ouverts. Les deux occupants parlent entre eux une langue étrangère et lui désignent le matelas par terre. Il lui reste le choix de décider s’il posera sa tête du côté des pieds de son compagnon ou du côté des chiottes. Il aura le temps de changer d’avis car la nuit il ne dort pas, les deux autres refusent d’éteindre la télé avant 3 ou 4 heures du matin. Il se sent si seul à côté de ceux avec qui il ne partage rien que parfois, il se demande s’il existe encore.
Dans un sursaut d’identité, un jour après la promenade, il refuse de réintégrer sa cellule. C’est le mitard pour cinq jours mais ensuite Monsieur B obtient une nouvelle affectation.
Son nouveau « co » est un petit jeune au teint pâle qui le regarde d’un air inquiet. Une fois rassuré, en revanche, il est intarissable : sa mère, sa copine qui ne vient plus au parloir, son procès qui approche, il a déjà fait des conneries mais là ce sont les assises tout de même… Il déverse ses inquiétudes et Monsieur B se sent submergé. Ce flot de paroles l’envahit, il ne s’entend plus penser. Le petit jeune ne sort plus en promenade depuis qu’il s’y est fait bousculer. Il est là tout le temps. Monsieur B aimerait se retrouver mais c’est impossible avec cet autre qui s’interpose sans cesse entre lui et lui-même. Il est penché par-dessus son épaule quand Monsieur B essaie d’écrire à sa femme. Il se réveille la nuit quand Monsieur B espérait avoir un instant de répit pour chialer un bon coup. Il lui demande si ça va et Monsieur B trouve ça insupportable.
Monsieur B en parle à son premier et regretté compagnon lorsqu’il en a l’occasion furtive. Depuis que son procès a eu lieu, celui-ci est seul dans une cellule du centre de détention. Il ne supporte pas. Ou plutôt, seul avec lui-même, il s’insupporte. Il aimerait qu’on le distrait de ses pensées et de ses regrets, ces voisins sans gêne qui s’invitent et qu’il ne peut mettre à la porte.
Toujours seul, jamais seul ? Cette humaine condition nous accompagne, de cellule en cellule, dans l’isolement comme dans la multitude.