Malgré notre désir d’exercer la psychiatrie en milieu pénitentiaire comme ailleurs, un certain nombre de contraintes s’imposent à nous et l’exécution de certaines décisions d’ordinaire exclusivement médicales nécessitent ici le concours de l’administration pénitentiaire.
C’est le cas par exemple lorsqu’un détenu, un patient pour nous, doit être transféré de la prison à l’hôpital. Un moment délicat, où la logique du soin et la logique sécuritaire peuvent se heurter.
Parfois, l’hospitalisation est programmée : le patient et moi constatons une dégradation progressive de son état psychique, qui n’ a pas pu être enrayée par un soutien psychologique plus rapproché ou une modification des traitements. Nous convenons qu’une hospitalisation serait bénéfique, sans qu’il n’y ait d’urgence vitale. Je contacte alors l’UHSA de référence qui m’indique la date à laquelle ils seraient susceptibles de pouvoir le recevoir. Je peux ensuite informer mon patient qu’il sera admis à l’hôpital à compter du …
Précaution oratoire nécessaire car son admission ne dépend pas uniquement des places libres dans le service mais également de la disponibilité des transports pénitentiaires. Un lit sera vide, certes, mais encore faut-il qu’une des deux équipes de transport pénitentiaire puisse venir le chercher. Présentes de 9h à 18h, elles rayonnent sur toute la région pénitentiaire pour aller chercher des patients ayant besoin d’une hospitalisation ou ramener ceux ne nécessitant plus de soins. Un transfert qui dure et mobilise une équipe plus longtemps que prévu et c’est un autre patient qu’on n’ira pas chercher.
Même sans ses incertitudes liées au transport pénitentiaire, je ne saurai être plus précise. Quand bien même je la connaitrai, il m’est interdit de communiquer au patient la date exacte de son extraction ( terme utilisé quand un détenu quitte temporairement la prison). Ceci afin, j’imagine, qu’il ne puisse former un projet d’évasion pour le jour J avec des complicités extérieures. Contrainte sécuritaire donc, que j’applique non sans une certaine réticence éthique. Cette incertitude a des conséquences sur l’état psychique des patients. D’elle nait l’angoisse : combien de temps encore vais-je devoir supporter ce mal-être ? Combien de jours encore me faudra-t-il tenir avant de pouvoir être pris en charge ? Et parfois si cela traine, vient le doute, qui oeuvre comme un ver dans le fruit de la relation thérapeutique : m’aurait-on menti ? Je ne vous raconte pas les dégâts chez les patients souffrant de trouble anxieux ou de délire paranoïaque…
Face à l’urgence, la problématique est elle aussi plus aigue. Nous ne pouvons nous contenter d’un « bientôt » ou d’un « peut-être »,que ce soit par manque de moyens humains et matériels comme je l’ai expliqué au-dessus, ou par méconnaissance des situations médicales, avec l’idée qu’une hospitalisation si elle est consentie n’est pas une urgence… Comment s’assurer alors que le patient partira le jour même à l’hôpital, si cela est nécessaire d’un point de vue médical ?
Une seule solution, là encore éthiquement discutable : le D398 ou SDRE carcéral. En effet, avec cette modalité d’hospitalisation, c’est le transport de l’hôpital qui se charge du transfert du patient et non plus l’administration pénitentiaire. Sauf que cette mesure, qui nécessite l’accord du préfet, est normalement réservée aux patients qui présentent un risque pour la sécurité des personnes ou portent une atteinte grave à l’ordre public et qui sont opposés aux soins. Bien sûr, dans le cas d’un patient qui nous demande de le protéger de l’idée obsédante et envahissante de se pendre dans sa cellule, aucune des deux conditions requises n’est présente. Il s’agit d’une utilisation abusive et impropre de cette forme d’hospitalisation, là encore avec ses conséquences délétères. Le nombre important de D398 réalisés pour des patients détenus alimente le fantasme de la dangerosité de cette population alors qu’il s’agit pour nous de la seule façon de les hospitaliser dans les délais que leur état de santé nécessite. Cela a des répercussions sur leur accueil dans les services de psychiatrie classique qui les placent souvent de principe dans des chambres d’isolement avec des contentions aux quatre membres alors que leur état clinique ne le requiert pas. On peut également imaginer l’impact sur les décisions judiciaires ultérieures lorsque la personne a été hospitalisée plusieurs fois sous cette modalité d’ordinaire réservée aux personnes présentant un danger pour la société…
D’après le législateur, les UHSA ont été créées pour assurer aux patients détenus des soins de qualité équivalente à ceux offerts à la population générale, en leur permettant de disposer de la même diversité des modes d’hospitalisation et notamment l’hospitalisation avec consentement. Dans la réalité, cette possibilité est mise à mal par les contraintes pénitentiaires, imposant un recours inapproprié au D398, une perte de chance pour le patient et des conditions d’accueil dégradées.
Madame Adeline Hazan, Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, s’est déjà émue du fait que, concernant les soins somatiques, de nombreuses extractions soient reportées ou annulées en raison de l’indisponibilité des escortes. J’espère qu’elle se penchera bientôt sur la question des hospitalisations en psychiatrie.
Shelter.