Un matin d’hiver, à mon arrivée dans le service, le surveillant m’interpelle :
« Monsieur M (mon premier patient de la journée) ne pourra pas venir, il y a trop de brouillard. »
Je crois à une blague, en tente une à mon tour :
« Je ne savais pas qu’il venait en voiture ! »
Il a l’amabilité de sourire et de m’expliquer.
Quand le brouillard est trop dense, c’est à dire quand le mirador ne peut apercevoir une cible peinte spécialement à cet effet sur le mur d’en face, l’administration pénitentiaire considère que la visibilité est trop réduite pour assurer une surveillance correcte et les mouvements sont bloqués. Aucun détenu n’est plus autorisé à se déplacer seul, le risque d’évasion est jugé trop élevé.
Pour les déplacements prioritaires, un surveillant escorte le détenu. En général, les consultations psychiatriques n’en font pas partie. La distribution de la méthadone ou « métha » (traitement de substitution aux opiacés, prescrit pour les patients ayant une addiction à l’héroïne, nous y reviendrons sûrement dans un prochain article), la distribution de la métha donc, est en revanche assurée.
Il y a donc de l’animation dans la pharmacie près de l’entrée du service tandis qu’au fond du couloir, mon bureau reste vide. A l’instar du ciel, ma matinée sera blanche.
Je croise des collègues également désoeuvrés et nous allons à la fenêtre, celle par laquelle on voit un peu de ciel, pour un point météo : se lèvera, se lèvera pas ? Ca m’a l’air encore plus épais que tout à l’heure.
Je suis partagée: plaisir de l’écolier dont le cours est annulé, satisfaction d’avoir enfin un peu de temps – cadeau inespéré – pour ces dossiers à remplir et ces coups de fil à passer, soulagement d’éviter un patient désagréable ou trop bavard, agacement de devoir reporter mes rendez-vous.
Je me questionne : est-ce que Monsieur G va bien ? Peut-il attendre 15 jours ? Ou alors je le case demain à 10h30 mais avec Monsieur V juste avant, je risque d’être en retard… L’inquiétude pointe le bout de son nez à travers la brume. Inquiétude pour ceux que je ne verrai pas aujourd’hui et qui resteront dans le brouillard…
Shelter.