Depuis l’affaire « Me Too », les réflexions sur la notion de consentement se multiplient. On réaffirme haut et fort, avec raison, qu’il est la condition sine qua non d’un relation sexuelle. Sans l’accord du ou de la partenaire, il n’est plus question de relation, ni même de sexe, mais de violence et d’agression. Les gestes peuvent être les mêmes, tout le sens et le ressenti en sont changés.
Se pourrait-il qu’il en soit de même pour les soins psychiatriques ? Autrement dit, quand on oblige à des soins, est-ce encore du soin ?
La comparaison est évidemment provocante. Mais il est curieux de constater que, alors que la liberté est un concept fondateur de nos sociétés modernes, que le consentement est au coeur de notre vision des rapports, notamment sexuels, entre individus, la démarche inverse s’opère pour les soins psychiatriques à la population pénale.
En effet, le champ des soins sur décision judiciaire s’est élargi. L’obligation de soins, créée par l’ordonnance du 23 décembre 1958, ne requiert aucun avis médical. Ainsi, et c’est le premier point paradoxal, on peut être obligé à se soigner sans qu’il ne soit établi que l’on souffre d’une pathologie quelconque. En 1998 a été créée l’injonction de soins. Elle présente l’intérêt de nécessiter une expertise psychiatrique préalable mais elle peut s’appliquer sur une durée bien plus longue (20 ans pour un crime, à vie pour une surveillance de sûreté). Son domaine d’application s’est peu à peu accru : initialement cantonnée au suivi socio-judiciaire, elle est à présent possible dans les cas de surveillance judiciaire (2005) , libération conditionnelle, mesure de sûreté (2007), contrainte pénale (2014). Les infractions concernées sont elles aussi de plus en plus nombreuses : pensée pour les infractions à caractère sexuel, l’injonction de soins s’étend depuis 2007 aux atteintes aux biens et aux personnes et depuis 2008 aux violences conjugales et familiales.
Notons que la psychiatrie peut elle aussi être à l’initiative de soins sous la contrainte, mais elle s’est plus modestement (et de façon plus réaliste?) cantonnée aux moments de décompensation aigüe d’une pathologie avérée. Ce sont les hospitalisations sans consentement prévues par la loi sur rédaction de certificats médicaux lorsque le patient se met en danger ou met en danger les autres de façon imminente et qu’il n’a plus ses capacités de discernement.
Alors que sans l’accord du sujet le corps est considéré intouchable, car il est le bastion du soi et de l’intimité, la psyché pourrait, elle, être légitimement mise à nu ? Est-ce seulement possible ?
L’esprit a cet avantage indéniable sur le corps qu’il peut facilement se protéger de l’intrusion par le silence. Rappelons, à toutes fins utiles, que le psychiatre ne lit pas dans les pensées. Des réponses laconiques « ça va très bien » « c’est derrière moi tout ça » sont autant de murs derrière lesquels s’abriter. Dans sa forteresse, le sujet affirme son irréductible liberté. Le juge n’a finalement contraint le condamné qu’à venir poser ses fesses dans le cabinet du psychiatre. Et vous vous doutez bien qu’un psychiatre ne fait pas grand-chose d’une paire de fesses…
C’est un comble, c’est parfois même le médecin qui se sent contraint ! Lui s’est engagé, comme auprès de chacun de ses patients, à « d’abord ne pas nuire ». La moindre des choses sera donc de ne pas participer à sa réincarcération, ce qui peut être le cas si le médecin suspend les rendez-vous et que le condamné ne retrouve pas rapidement un autre thérapeute, même s’il n’a pas commis de nouvelle infraction.
Et puis, avec cette mesure, le juge lie intimement soin et prévention de la récidive. Cela signifierait que la commission de l’infraction est forcément en lien avec une pathologie psychiatrique, et que cette pathologie peut être prise en charge efficacement même sans la participation de la personne concernée. Tout cela ne va pas de soi, nous l’avons vu. Pourtant, en supposant au médecin un pouvoir qu’il n’a pas sur la prévention de la récidive, le juge voudrait lui conférer un rôle d’auxiliaire de justice. Ne voudrait-il pas aussi partager aussi une forme de responsabilité ? Si le médecin affirme que les soins ne sont pas nécessaires, ne lui en fera-t-on pas le reproche, si le patient commet une nouvelle infraction ? Peu de médecins, en tout cas, s’y risquent.
Patients et psychiatres sont-ils donc condamnés à perdre leur temps avec les obligations de soins ?
Pas toujours. La stigmatisation de la maladie psychiatrique ou le déni peuvent empêcher quelqu’un d’aller vers le soin et l’obligation peut alors être une justification bienvenue, pour lui-même mais aussi vis-à-vis des autres.
Et parfois, ne s’attendant à rien d’autre qu’à accomplir sa peine, il arrive que la personne condamnée se laisse surprendre. Une porte s’entr’ouvre et ce n’est pas parce que le psychiatre l’enfonce d’un coup d’épaule. Il a su montrer au contraire son absence de désir de faire exister l’obligation, en même temps que sa disponibilité. Il a su faire entendre l’attention derrière les questions, l’absence de jugement dans son silence. Il a invité le patient à faire avec lui un pas de côté par rapport à la contrainte. Et le patient peut alors, non pas céder, mais consentir. Mieux que consentir, s’en emparer.
Entre ces deux personnes qui se retrouvent là sans avoir rien demandé ni l’une ni l’autre, il y a donc bien un espace de possibles… à condition que le psychiatre rende sa liberté au patient en lui disant qu’il peut ne rien se passer.